Vers un enseignement « phygital » de la conduite…

par 9 Nov 2021

Laetitia Grail est entrepreneure et experte dans l’éducation digitale et membre du conseil stratégique de Drivata. Mathématicienne de formation, elle a d’abord enseigné en France et en Angleterre puis a fondé plusieurs sociétés dans l’éducation et l’edtech dont myBlee Math, une application hautement interactive, utilisant la puissance de l’intelligence artificielle pour personnaliser les apprentissages. Elle a accompagné la création du fonds d’investissement Edu Capital, premier fonds français sectorisé edtech. Elle conseille des organisations publiques et privées dans la transformation digitale de leurs formations : branches e-learning de groupes du CAC40, start-ups. Dans le cadre du PIA 3, elle fait partie du jury de sélection des consortiums universitaires pour l’Agence Nationale pour la Recherche.

Quel est votre analyse de l’apprentissage de la conduite en France ?

L’examen du permis de conduire est le premier examen de France. Chaque année plus d’un million de candidats le passent et 50 % sont reçus… Si ce ratio n’est ni bon ni mauvais en soi, en revanche on constate que ce sont les jeunes conducteurs âgés de 18 à 24 ans qui constituent la tranche d’âge qui cause le plus d’accidents (32%). Les accidents de la route sont la première cause de décès chez les jeunes. Ce qui est préoccupant est que ce taux est stable… Il y a donc des améliorations à apporter mais pas uniquement au niveau de la préparation à l’examen. 

L’enseignement de la conduite constitue toujours une formation de type initiale (en opposition à continue) conçue dans les années 50. Les véhicules, la densité du trafic et les infrastructures routières n’ont plus rien à voir avec cette époque. Il en est de même pour les méthodes pédagogiques.

Mes expériences académiques et professionnelles m’ont convaincu de l’efficacité d’une éducation en continu. Un apprentissage tout le long de la vie vaut toujours mieux que le bachotage en vue d’un examen butoir. 

Aujourd’hui les lignes bougent en faveur d’un continuum éducatif ; formation professionnelle et formation universitaire jadis hyper distinctes, tendent à se rapprocher… Beaucoup de grandes écoles, à l’instar d’HEC, proposent des formations en alternance aux jeunes adultes, payées par les entreprises.

Les bancs des nouvelles écoles de programmation (coding camps) se trouvent dans les entreprises. Les CFA, qui autrefois préparaient au CAP de boulanger – je schématise bien sûr – forment aujourd’hui des profils bac +5.

La formation à la conduite est l’un des derniers bastions de la formation initiale et c’est la répression (les amendes et la perte des points du permis) qui servent d’apprentissage en continu tout le long de la vie du conducteur. Ne soyons pas surpris, puisqu’il s’agit d’un modèle d’enseignement sous tutelle du ministère de l’intérieur… Cette formation doit-elle dépendre aussi du ministère de l’enseignement supérieur ?

L’état qui subventionne déjà des programmes universitaires ainsi que ceux des grandes écoles en faveur de ces nouveaux modèles éducatifs peut décider de changer la donne… La pression des lobbies a pour l’instant maintenu le statu quo mais il suffira d’une volonté politique pour faire bouger les choses…

Quel avenir pour l’enseignement de la conduite ?

L’enseignement du code de la route est binaire ; on reconnaît ou pas la signification d’un panneau de signalisation.  C’est un enseignement très simple à digitaliser. Une startup comme Ornikar l’a prouvé avec succès même après avoir été attaquée en justice par les lobbies. L’apprentissage de la conduite est beaucoup plus complexe. C’est un vaste système à trois composantes :  l’Humain, le Véhicule et l’ Environnement (HVE) qui ne peut pas se maîtriser en quelques semaines… En quelques semaines on peut en savoir juste assez pour passer le permis et acquérir des capacités de base, c’est tout…

Le passage du permis de conduire permet une entrée dans la communauté des conducteurs pourtant le “Vivre ensemble sur la route” prôné par la Sécurité Routière nécessite plus d’expérience et de sérénité.

Comme souvent, les solutions se trouveront dans l’analyse de données de conduite fiables et homogènes récoltées par des plateformes de télématique smartphone comme Drivata. En utilisant ce type d’outil, les réseaux d’auto école pourraient construire et commercialiser de nouveaux modèles d’enseignement “phygital” qui couvriraient tout le cycle de vie du conducteur ; de la conduite accompagnée en passant par la période probatoire post examen jusqu’au tests de capacité à conduire pour les seniors. 

Ce modèle hybride pourrait évoluer en une assistance pédagogique gérée par l’intelligence artificielle pour suivre plusieurs centaines de milliers de jeunes conducteurs simultanément pendant leur période probatoire. Je donne l’exemple du modèle que j’ai développé pour myBlee math. Nos algos IA ont analysé 12 M d’exercices fait par des élèves dans le monde entier. Cela nous a permis de modéliser des séquences d’apprentissage beaucoup plus efficaces pour les nouveaux élèves qui eux même vont améliorer le modèle… C’est ce cercle vertueux que l’on doit mettre en place pour baisser la mortalité des jeunes conducteurs.

Responsabilisation vaut mieux que répression

Baisser l’accidentalité c’est avant tout baisser la probabilité d’un accident… L’analyse des données de conduite permet de détecter et d’analyser les risques en continu et de créer des “nudge” pour améliorer les comportements.

L’alerte sonore de la ceinture de sécurité est un “nudge” qui a plus sauvé de vie que tous les radars au bord des routes… Maintenant imaginons le nombre de “nudges” que nous pourrions concevoir en analysant en continu un gisement de données de conduite provenant de centaine de milliers de jeunes conducteurs…  Multiplier les “nudges” pour remplacer la répression par la responsabilisation, c’est, à mon avis, le pré-requis pédagogique pour vivre ensemble sur la route…

Projet financé avec le concours de l'union européenne avec le fond européen de développement régional

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